Reportage d'Investigation et enquête du 29 septembre 2021.
Vous trouverez ci-dessous le texte des dialogues...
Dans notre eau, si vitale pour nous, on retrouve des traces de médicaments.
Soyons clairs. Nous sommes tous à l'origine de cette pollution.
Les Français sont même les premiers consommateurs en Europe.
Nous absorbons en moyenne 48 boîtes de comprimés par an et par personne.
Côté pile, ces médicaments sont censés nous guérir. Mais il y a un côté face.
Quand nous les ingérons, notre corps en évacue une partie par les voies naturelles.
Lorsque nous allons aux toilettes, ces eaux usées, chargées de résidus médicamenteux vont alors se retrouver dans un circuit insoupçonné.
Entraînant sur leur passage des réactions en chaîne que personne n'avait prévues.
Et c'est au cœur même de la nature, dans les rivières que les premiers effets sont constatés par de drôles de pêcheurs.
Ce sont des scientifiques de l'Ineris. Un grand centre de recherche publique.
L'objet de leur étude : les poissons qui vivent dans les eaux où l'on a trouvé une forte concentration de résidus médicamenteux.
Pour eux, le seul moyen de vérifier si les poissons sont impactés, c'est de les attraper et de les disséquer.
Grâce à leur petit laboratoire ambulant, ils prélèvent les organes des poissons tout juste sortis de leur milieu naturel.
- Sur les organes sexuels, on va essentiellement rechercher un phénomène qu'on appelle de l'intersexualité, qui est l'apparition dans les organes sexuels d'un poisson, d'un sexe donné, de cellules qui appartiennent à l'autre sexe.
En cause, les perturbateurs endocriniens.
Comme par exemple l'hormone de la pilule contraceptive, qui modifie le fonctionnement normal de l'organisme.
De retour au laboratoire, Wilfried Sanchez peut mieux l'observer.
Il a déjà pêché de nombreux poissons.
Voilà normalement ce qu'il devrait observer.
Au microscope, chez les mâles, le tissu de testicule est très dense, uniforme.
Chez les femelles, le tissu d'ovaire est rempli de cercles mauves.
Ce sont des ovocytes de petits œufs.
Mais lorsque le poisson a été exposé à une pollution de l'eau, les choses ne sont plus si claires.;
- Sur cette image-là, on a un autre cas de figure de poisson intersexué. Avec une intersexualité sévère.
Avec, sur la partie haute du testicule, de l'organe reproducteur mâle, et sur la partie basse de la coupe, des ovocytes.
Donc des œufs qui sont caractéristiques des ovaires, donc les organes reproducteurs femelles.
Donc, on est vraiment sur le même organe reproducteur.
Avec la cohabitation de ces deux types cellulaires, mâles et femelles.
Des poissons devenus transsexuels.
Ce phénomène a été observé dans tous les cours d'eau du monde.
Il est le signe manifeste d'une pollution des eaux aux médicaments qui menace la reproduction des espèces.
Et pourtant, toute cette pollution n'aurait jamais dû se retrouver dans les rivières.
L'eau est puisée dans la nature. Puis rendue potable avant d'arriver chez nous.
Une fois utilisées, nos eaux sales, issues notamment des toilettes, sont évacuées.
Mais avant d'être rejetées dans les rivières, ces eaux chargées, entre autres, de nos médicaments seront traitées.
Ce sont des stations d'épuration qui vont les filtrer.
Il existe donc, en principe, une barrière pour retenir les substances toxiques.
Sauf qu'en pratique, manifestement, ça ne marche pas.
Nous avons voulu tester le vrai pouvoir filtrant d'une station d'épuration.
Celle de Rouen, par exemple. Nous nous y sommes procurés 2 échantillons d'eau.
L'un en entrée de station. Là où toutes les eaux usées se rejoignent
L'autre en sortie. Une fois que l'eau est nettoyée et va être rejetée dans la rivière.
Nous décidons de soumettre ces deux échantillons à des experts d'un laboratoire indépendant.
Objectif :
Vérifier la présence des 20 molécules médicamenteuses les plus utilisées en France dans l'eau prélevée.
Et surtout, savoir si la station d'épuration les retient avant de rejeter l'eau.
- Bonjour Renaud.
Ça va ? Alors, c'est parlant, c'est concluant ces analyses ? Ça donne quoi ?
- Écoutez, je vais vous montrer les résultats.
On obtient des choses assez intéressantes.
Pour l'équipe d'Alain Franco, les résultats sont sans appel.
- Les résidus médicamenteux qui rentrent dans la station, en sortie sont retrouvés.
Ils ne sont pas éliminés.
Par exemple Trimethoprim, on a une quantité équivalente en entrée de station et en sortie de station. Ça veut dire qu'en fait la station n'a pas du tout éliminé ce composé.
- C'est en 0,327 et...
- 0,287.
- C'est quoi le Trimethoprim ?
- Le Trimethoprim, c'est un antibiotique.
On a éventuellement le Diclofenac aussi, qui est un anti-inflammatoire très utilisé, qui lui aussi est présent en quantité assez importante et qui passe à travers la station d'épuration.
10 molécules sur 20 sont retrouvées en sortie de station d'épuration.
- Ça fait un peu peur, non ?
- Ça fait beaucoup de molécules. Je ne pensais pas qu'on en retrouverait autant.
Ce rapport d'analyse, nous sommes allés le montrer à ceux qui gèrent l'eau de l'agglomération rouennaise.
- Bonjour.
Ils nous reçoivent dans cette station d'épuration prévue pour traiter les eaux usées de 800 000 personnes.
- Alors, on a fait nos analyses. Et on s'aperçoit quand même que...
Des analyses inédites pour ce responsable. Sa station n'en fait jamais de ce genre.
Et pour cause.
- 1,38 microgrammes, 0,985.
- Donc, il y a un abattement quand même, dans le cadre du traitement.
- Mais il en reste quand même beaucoup.
Il en reste déjà.
- On est en microgrammes.
- En microgrammes.
- Bon, c'est normal puisque... Le process de la station d'épuration, tel qu'il a été conçu et réalisé à l'époque, ne... Ne prévoyait pas de traiter ce type de résidus.
- Ça veut dire que votre station... Votre station d'épuration, n'est pas équipée pour... Elle ne sait pas lutter contre ces résidus médicamenteux ?
- Aujourd'hui, non. Non, elle n'a pas été conçue pour.
Et comme la majorité, ce n'est pas spécifique à Rouen d'ailleurs, c'est... Dans toutes les stations... La majorité des stations d'épuration en France.
Pas d'obligation. Pas d'équipement. Et aucune norme établie pour limiter la présence de médicaments dans l'eau.
Ainsi, les 19 000 stations d'épuration en France peuvent continuer de rejeter chaque jour en toute légalité tous ses résidus dans la nature.
Impactant au passage, tout un écosystème. Qui perturbe la santé des poissons, mais peut-être pas seulement des poissons.
Ces résidus de médicaments que l'on retrouve dans l'environnement peuvent-ils aussi se retrouver dans notre eau du robinet ?
Une fois encore, le meilleur moyen pour le savoir : tester notre eau potable.
Une mission que nous avons confiée à nouveau à Alain Franco.
Cet expert a prélevé des échantillons au robinet. C'est l'eau que les habitants boivent à Rouen.
Cette fois-ci, nous voulons aussi vérifier si l'eau prélevée contient ou non les fameuses molécules médicamenteuses les plus fréquentes.
2 semaines plus tard, voilà ce que révèlent les tests.
Sur les médicaments recherchés, les analyses confirment la présence de l'un d'entre eux, bien connu de tout le monde. Du paracétamol, présent par exemple dans le Doliprane.
Une faible quantité, 6 nanogrammes. Mais qui n'a rien à faire là.
Et qui prouve que des restes de médicaments peuvent se retrouver à notre robinet.
- Il faut voir que là, on n'a recherché qu'une vingtaine de molécules.
Sur une vingtaine de molécules, on en retrouve une dans l'eau du robinet.
Donc, rien ne dit qu'il n'existe pas d'autres molécules présentes dans l'eau du robinet qui, effectivement, n'ont pas lieu d'être bu quand on ne veut pas prendre de médicaments.
Et ce résultat est loin d'être un cas isolé.
L'ensemble de l'eau du robinet en France est concerné.
En 2011, l'Agence nationale de sécurité sanitaire a réalisé des prélèvements un peu partout sur le territoire.
1 fois sur 4, l'eau potable contient à petites doses toutes sortes de médicaments.
Des antibiotiques humains ou vétérinaires.
Des anti-inflammatoires ou même des anticancéreux.
Un problème pris au sérieux au niveau international.
Car l'Organisation mondiale de la santé a également détecté dans l'eau potable de plusieurs autres grands pays,
Royaume-Uni, Etats-Unis, Australie, la présence de tels médicaments.
Alors, que sait-on de leurs effets sur la santé humaine ?
À de très faibles doses, chaque résidu pris séparément est peut-être inoffensif.
Mais qu'en est-il de plusieurs médicaments mélangés entre eux ?
À Toulouse, dans les laboratoires de recherche de l'université, c'est justement ce qu'étudie Annie Lescovitch.
Elle travaille sur ce qui reste encore un mystère pour les scientifiques.
Ce qu'on appelle l'effet cocktail.
Ce qui, justement, intéresse cette toxicologue, c'est l'effet d'un mélange de 3 médicaments anticancéreux.
L'un des cocktails les plus rejetés dans les eaux par les hôpitaux.
Et leur effet est déjà perceptible.
Pour ses recherches, elle a comparé 2 types de cellules humaines.
Les unes à l'état normal, les autres exposées à ce cocktail de médicaments.
Grossies au microscope, voilà à quoi ressemblent des cellules présentes dans le corps humain.
Elles sont bien rondes.
Mais si l'on met ces cellules en contact avec une eau contenant le cocktail des 3 anticancéreux, un étrange phénomène se produit.
- Et ce qu'on voit apparaître, c'est qu'il y a des cellules qui commencent à être anormales.
C'est-à-dire, ici, vous voyez, elles ne sont plus rondes.
Elles ont ce qu'on appelle une comète.
Et en fait, ça matérialise la coupure de l'ADN en plusieurs bouts.
Et donc, on a fait un grossissement.
Et donc là, vous voyez bien pourquoi ça s'appelle une comète.
Puisque vous avez des milliers de petits bouts partout.
On n'a presque plus d'ADN normal.
Ces tests prouvent qu'au contact d'une eau contenant un cocktail de médicaments, l'organisme humain est modifié.
À long terme, selon le professeur Lescovitch, le risque serait de développer des maladies telles que le cancer.
Le ministère de la Santé prend la question au sérieux. Il a commandé des études pour évaluer les risques sur notre santé. Les premiers résultats seront connus d'ici 2 ans.
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